Le SNPMNS a souhaité avoir un avis d’expert en ce qui : l’usage du téléphone portable au bord des bassins. Un problème récurrent !
Monsieur Christian BELHACHE, juge honoraire, ancien président de tribunal est la personne toute désignée. En effet il a au long de sa carrière dirigé les travaux des juges. A ce titre sa parole est celle d’une personne qui dit le droit. Trop souvent les personnes s’imaginent que « pas vu pas pris ». Avec la « mémoire » de nos téléphones tout reste enregistré. Alors écoutons la sagesse du Juge.
Notons par ailleurs que Monsieur Christian Belhache, connu de toutes celles et ceux qui s’intéressent aux baignades et à nos métiers, magistrat désormais honoraire fut aussi MNS. Depuis une trentaine d’années il est auteur de l’ouvrage ‘’Le droit des baignades’’ dont la 7ème édition vient de paraitre chez Berger-Levrault. Cet ouvrage -référence nationale- fait autorité partout en France et même à l’étranger. Il se murmure qu’il aurait participé à près de 300 colloques, réunions, conférences, rencontres…
Il a très gentiment et spontanément répondu à nos questions :
> Première partie
> *Question : Depuis plusieurs années on voit ‘’fleurir’’ les téléphones mobiles dans notre environnement, que pensez-vous de l’usage de ces appareils “au bord des bassins” ?
> *Réponse : Votre question parait anodine puisque posée en deux lignes ! En réalité, selon les conditions d’utilisation de la piscine elle recoupe plusieurs situations. Commençons par les piscines accueillant à un public durant des horaires déterminés et moyennant le paiement d’une redevance.
> Une première considération s’impose. Le téléphone portable, insidieuse drogue matérielle de la vie moderne est partout, il envahit tous les espaces réservés aux hommes et les bords des bassins dans les piscines n’échappent pas à cet envahissement ! C’est désormais constant, malheureusement, durant les heures de surveillance des MNS ou des BNSSA passent une partie de leur temps à manipuler leur boite à babils. Soyons indiscrets et écoutons leurs conversations : ‘’Allo Simone ! Que fais-tu ?… Moi je suis à la piscine et toi ? je lis ‘’France mode’’, après j’irais au marché !… Ton marché habituel ? Non celui d’à côté… Ha ! Je vois !… Parfois, certaines conversations sont plus tendres, enjôleuses, intimes… la jeunesse n’a-t-elle pas ses nouveaux codes initiatiques ?…
> Si maintes conversations téléphoniques ont ces caractères, leur intérêt n’est pas dans la ‘’qualité’’ de ces échanges, mais dans les immenses risques encourus par l’utilisateur de cet instrument mais aussi par les autres, celles et ceux qui emploient notre petit téléphoniste ou celles et ceux sont en droit d’attendre de lui la sécurité recherchée. La causette à Simone engage donc la responsabilité de plusieurs personnes et met en péril leur vie, celle des enfants souvent. Un beau gâchis !
> Avant de poursuivre et ’’d’entrer dans le vif’’, une autre considération s’impose, si dans la vie quotidienne le téléphone portable a sa place il doit cependant être retenu que celui-ci n’intègre pas le domaine des dispositifs ordinairement admis comme contribuant à renforcer l’efficacité de la surveillance, c’est tout le contraire ! En effet, si le téléphone portable est là, ce n’est pas pour favoriser la surveillance des usagers ou leur apprendre à nager, mais… seulement pour les aider à mieux se noyer ! Pour le démontrer révisons nos classiques :
> L’article L 322-7 du Code des sports dispose : « Toute baignade et piscine d’accès payant doit, pendant les heures d’ouverture au public, être surveillée d’une façon constante par du personnel qualifié titulaire d’un diplôme délivré par l’État et défini par voie réglementaire ».
> L’article L 322-8 du même code précise : « Les infractions aux dispositions de l’article L. 322-7 sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe.
> Le tribunal peut, en outre, prononcer la fermeture de la piscine ou de la baignade.
> La récidive est punie d’une peine d’un mois d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros… ».
> Par ailleurs, ces dispositions ne font pas obstacle aux pouvoirs dont disposent les maires ou les préfets, au titre de leurs pouvoirs de police administrative, de fermer tous établissements présentant un danger pour les usagers…
> Les textes organisant la surveillance sont d’une rare clarté, donc malheur à celles et ceux qui les transgressent ! Ce malheur fait d’autant plus pleurer dans les vestiaires et le soir à la maison que le redoutable code pénal, en la matière, n’est pas en reste et même ‘’en rajoute une singulière couche’’. Pire ! il devient impitoyable et sort alors de ses pages les prescriptions du chapitre redouté par les MNS et BNSSA, mais aussi les exploitants des piscines et sans doute regretté par les victimes…: des homicides et blessures involontaires.
> A cet effet, l’article L 221-6 du Code pénal dispose sans complaisance que : « le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article L 121-3 par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
> En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ».
> L’article L 222-19 du même code, applicable au cas de blessures entrainant ‘’seulement’’ une ITT de plus de trois mois, s’il minore les peines encourues, va dans le même sens.
> L’union du code des sports et du code pénal, produit un mariage solide. Or, téléphoner étant en surveillance, alors qu’un seul élément suffit, caractérise à la fois une imprudence, une inattention et une négligence. Une réussite ! Mieux, un exploit ! En effet, les appels reçus ou émis pendant le temps consacré à l’exécution de la surveillance génèrent indiscutablement une captation -au surplus volontaire- de l’attention du surveillant, circonstance radicalement incompatible avec les obligations de la prestation. En sus, la négligence est par ailleurs indiscutablement caractérisée puisque l’utilisateur du téléphone préfère son portable à l’exécution de sa prestation professionnelle. Enfin, en usant de son appareil il devient imprudent dans la mesure où, par cet usage, il expose celles et ceux, adultes comme enfants, qui croient être surveillés, à une absence assurée de réactivité au cas d’engagement du processus de la noyade.
> Sauf que la pratique du téléphone passe par l’intermédiaire d’une machine, elle est de même nature que la discute entretenue directement entre collègues au bord du bassin, la lecture du journal, la pratique du tricot, de la broderie, l’écoute de la musique, la drague des filles et réciproquement… Mais, ce qui précède ne clôture pas le débat, loin s’en faut, le pire arrive !
> En effet, l’obligation de surveillance constante n’étant pas exécutée, son inexécution étant volontaire, ‘’dans la foulée’’ cette circonstance induit, au sens des articles L 221-6 et L 222-19 du code pénal ci-dessus rappelés et des articles L 322-7 et L 322-8 du Code des sports une violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi et le règlement, de surcroit obligé par une règle pénale donc d’ordre public ! Ainsi, ses dispositions trouvant leur application elles serviront à aggraver la peine encourue passant alors de trois à cinq ans et de 45.000 à 75.000 euros d’amende… Surveiller et téléphoner sont donc deux activités radicalement inconciliables et ce quelle que soit la durée de la communication.
> Assurément, l’incorrigible téléphoniste des bords de bassins ne peut pas mieux faire pour aller directement s’expliquer devant le tribunal correctionnel, institution devant laquelle les plaidoiries les plus talentueuses des avocats ne changeront guère les choses, l’auteur sera condamné pénalement, civilement et, cela va de soi, disciplinairement, la totale quoi !
> Seconde partie
> *Question : Dans votre précédent exposé vous parlez de l’utilisation du téléphone dans les piscines ouvertes au public admis contre paiement durant des horaires déterminés, mais en dehors de ce contexte la rigueur des textes que vous rappelez est-elle applicable ?
> *Réponse : Bien entendu la machine à laminer les irresponsabilités ne s’arrête pas au cas de figure précédemment exposé, même si celui-ci reste le principal. La responsabilité des acteurs chargés d’assurer la surveillance des activités aquatiques doit aussi se concevoir en dehors du cadre précédent.
> Si les règles examinées dans la première partie s’appliquent lorsque sont cumulativement réunis : un public, admis durant des horaires définis et contre paiement, en dehors de cette situation spécifique se sont les règles de droit commun qui vont trouver application et, en quelque sorte, prendre le relai, notamment lors de la surveillance des groupes, quel que soit leur structure.
> En semblable circonstance, l’organisation de la surveillance va reposer, non sur les règles précédentes, mais sur les contrats passés entre le surveillant, l’exploitant et les représentants des groupes admis dans la piscine. Rappelons que les contrats forment ‘’la loi des parties’’. A ce niveau il doit aussi être rappelé que celui qui permet l’accès à sa piscine à des usagers est tenu vis-à-vis d’eux notamment par une obligation générale de sécurité. Or, si un MNS (ou un BNSSA) est recruté pour surveiller les activités aquatiques de celles et ceux qui fréquentent la piscine, ce professionnel ne l’est pas pour téléphoner à Simone durant l’exécution de cette prestation ! Si tel est le cas le surveillant-téléphoniste commet une faute dans l’exécution d’une des obligations de son contrat et, si pendant qu’il téléphone une noyade se produit, le contrat n’ayant pas été exécuté conformément à sa finalité, cette faille ouvrira fatalement toute grande la porte aux sanctions pénales se rapportant aux homicides et blessures involontaires entrainant une ITT de plus de trois mois et prendront rang, comme dans le cadre précédent : l’inattention, l’imprudence, la négligence, avec une différence cependant. En effet, la circonstance aggravante de non-respect fondée sur la transgression de la règle d’ordre public visant seulement la surveillance des baignades ouvertes au public admis contre paiement durant des horaires déterminés ne sera pas applicable, le maximum de la peine encourue ne sera donc pas de 5 ans mais de 3 ans d’emprisonnement. Cette curiosité ne changera toutefois rien au montant des dommages et intérêts attribués à la victime ou ses ayants droits, ni aux sanctions disciplinaires pour mauvaise exécution du contrat de surveillance.
> Dans ce cas de figure, comme dans le précédent objet de la première partie, il apparait que l’usage du téléphone coûte à son utilisateur bien plus que le montant de son abonnement !
> *Question : Malgré tout, un téléphone portable peut être utile pour appeler les secours, qu’en pensez-vous ?
> *Réponse : A un moment donné il faut être clair. Si un téléphone portable doit être utilisé pour appeler les secours, -encore qu’ordinairement, par construction, les piscines doivent être équipées d’un téléphone lorsqu’elles reçoivent ‘’du monde’’-, ce n’est plus un instrument destiné à communiquer avec Simone, mais un équipement. Or, il n’appartient pas aux surveillants d’équiper la piscine en lieu et place de l’exploitant défaillant ! Sans tomber dans une allégorie simpliste, pourquoi ne pas aussi leur demander d’apporter l’eau des bassins et avec les extincteurs du local de désinfection ?
> En conséquence, ce téléphone ‘’équipement’’ doit être fourni par l’exploitant et mis à disposition des surveillants. Dans ce cas, il appartient à l’exploitant d’indiquer où le téléphone devra se trouver, procéder à son entretien et préciser les conditions de son utilisation ; or, il serait impensable que celui-ci autorise cette utilisation pour permettre l’entretien de conversations avec Simone…
> *Question : Mais alors, ou doit se trouver le téléphone portable personnel du MNS ou du BNSSA ?
> *Réponse : au vestiaire ! S’il reste à portée de main du surveillant, même si celui-ci se garde d’appeler il sera tenté, en recevant une communication, d’y répondre, donc d’entrer dans le processus de non surveillance. Bien entendu il peut l’éteindre et le garder ‘’à proximité’’. Très bien ! mais alors à quoi sert-il s’il n’est pas en état de recevoir et à la suite d’émettre ? A rien ! Il peut aussi ‘’à toutes fins’’ le garder fermé dans sa poche… Attention toutefois de ne pas plonger avec ! le chlore et les composants électroniques ne faisant pas bon ménage. L’appareil risque alors, plutôt qu’émettre, de faire des bulles… Quant à son nettoyage, s’il est possible, il restera à la charge de son propriétaire…
> L’on voit bien qu’en toutes circonstances le téléphone portable est indésirable au bord des bassins !
> *Question : Il y a-t-il eu des condamnations des différents acteurs de la surveillance des piscines ?
> *Réponse : Les condamnations pour défaut de surveillance ou de mauvaise organisation de celles-ci ‘’en général’’ sont les fonds de commerce des juridictions répressives en matière de noyade dans les piscines. S’agissant spécifiquement des condamnations pour défaut de surveillance en relation avec le téléphone portable, accompagnant la montée du phénomène celles-ci arrivent désormais en rang serré devant les instances judiciaires.
> Par ailleurs, il n’est pas inutile que chacun sache que téléphoner pendant la surveillance est la preuve la plus facile à rapporter par le parquet puisqu’il lui suffit, par une simple réquisition, d’obtenir de l’opérateur un relevé horaire des communications émises ou reçues avec identification des communicants. Bien entendu c’est la première piste que prospectent les enquêteurs. Téléphoner durant la surveillance c’est comme si, nostalgique des bourgeois de Calais, le téléphoniste se livrait aux autorités judiciaires la corde au cou !
> *question : Comment faire comprendre à nos MNS et BNSSA employés dans des activités de surveillance les enjeux encourus en téléphonant ?
> *Réponse : La première parade pour que nos MNS et BNSSA ne transgressent pas les textes est qu’ils les connaissent parfaitement, soient sensibilisés sur leur portée et sur les conséquences en résultant. Or, mes observations me conduisent, malheureusement, à considérer que, trop souvent, les textes sont méconnus, souvent mal enseignés, lorsqu’ils le sont, par des formateurs pas toujours au fait avec les subtilités et finesses de nos règles de droit…
> Les règles enseignées, pour les faire respecter l’employeur dispose du pouvoir disciplinaire lui permettant d’infliger une sanction à son employé pouvant, selon les circonstances, aller jusqu’à sa révocation pour faute grave, car grave est effectivement la faute.
> Une solution peut aussi passer par un rappel à la conscience professionnelle du surveillant qui ‘’néglige’’ de concevoir qu’utiliser le téléphone durant le temps attribué à la surveillance est professionnellement suicidaire.
> Pour un chef de bassin, dénoncer les pratiques altérant le principe de surveillance de ses subordonnés à son employeur ne caractérise pas une délation, loin s’en faut, mais une attitude d’autant plus citoyenne et responsable que de la bonne pratique de la surveillance dépend la vie des usagers de la piscine. En revanche, taire de tels agissements est susceptible de caractériser une faute susceptible de le rendre co-auteur du délit d’homicide par exemple et, ce faisant, de recevoir une qualification autant pénale, civile que disciplinaire.
> Enfin, pour les irréductibles, nous l’avons démontré, reste les impitoyables sanctions de toutes natures qui, subies, laissent peu d’espoir au développement d’une harmonieuse carrière dans la profession de MNS ou BNSSA. Leur resterait, peut-être, une reconversion possible dans le milieu des plateformes d’appels téléphoniques…
> Avec l’usage du téléphone durant les moments attribués à la surveillance c’est donc la tolérance zéro, voire double zéro, qui seule prévaut.
> *Question : Après ce que vous venez de démontrer, quelle est votre conclusion ?
> *Réponse : Il ne fait aucun doute, si une noyade intervient alors que le surveillant était distrait par Simone, ses SMS, l’édition ou la réception d’une communication, fut-elle courte, -pour disparaître de la surface quelques instants suffisent-, que la condamnation pénale, civile et disciplinaire de son auteur est assurée. A moins de vouloir absolument fréquenter les prétoires pour humer l’odeur mêlée de poussière, de papier et de d’encre, rechercher le ‘’fun’’ procuré par les effets oratoires entretenus par les acteurs de justice et les condamnations qui vont suivre, la réponse s’impose naturellement : le téléphone portable n’a son utilité que lorsque les MNS ou les BNSSA ne s’en servent pas dès l’instant où ils sont en surveillance…
> En conséquence, ceux qui surveillent ne doivent que surveiller. Quelle que soit la qualité de celles et ceux qui exercent cette activité, le lieu et le temps de son exercice. En sus, celle-ci doit être active et ne souffrir aucune tolérance. Ceux qui ont cette charge ne peuvent donc, en aucun cas, être distraits par l’entretien des conversations téléphoniques.
-Allo ! Simone ? t‘avais raison ! le plus court chemin pour la correctionnelle c’est encore le téléphone portable…